Nous venons de passer quatre merveilleuses journées à la cascina degli ulivi de Stefano Bellotti
dans le Piémont.
Récit d’un voyage qui laissera des traces durables dans notre
mémoire.
Le domaine
Cet agriturismo (ferme auberge) se situe en pleine campagne au-dessus de Novi Ligure (province d’Alessandrie en Italie du nord) dans un cadre authentique sans chichi.
Ici on ne produit en biodynamie sur plus de 20
hectares non seulement des vins exceptionnels par leur pureté, précision et justesse mais on y élève aussi des bovins,
une centaine de poules et poulets, des oies, des ânes. On y prépare des
fromages, on cultive des légumes, des variétés anciennes de céréales qui seront transformées en de délicieuses miches de pain
au levain naturel.
On se prélasse bien volontiers aussi au soleil couchant sur le
banc devant la batisse en caressant les chats et les chiens du domaine.
Ici au cœur
de la région où est né le mouvement Slow Food, on a envie plus qu’ailleurs de
prendre son temps et de vivre au rythme de nos envies et des saisons.
Car ici règne une énergie toute particulière.
Tout d’abord notre visite s’inscrit dans un contexte particulièrement
dramatique. En effet, le maitre des lieux, Stefano Bellotti, vient de décéder
soudainement en septembre à l’age de 59 ans. Il laisse derrière lui un énorme
vide et beaucoup de questionnements.
Mais aussi et surtout, ici règne l’énergie vitale de gens qui travaillent avec passion à poursuivre ce que Stefano a construit.
Il y Zita, sa femme, qui officie avec dignité et précision en
cuisine. Ilaria, leur fille, qui a 20 ans se retrouve elle-aussi aux manettes.
Il y a Gabriella la boulangère et son amour du travail bien fait, dans le
respect de la matière première et du côté sacré de la levure-mère.
Il y a tous
ces visages de la diversité qui s’affairent de bon matin aux nombreuses tâches
agricoles et que l’on voit le soir tous réunis autour d’une grande tablée de la diversité.
C’est rafraichissant de se retrouver dans un environnement de
tolérance et de multiculturalisme à l’heure où l’Italie de Salvini pourrait bien sombrer dans le
fascisme.
Les vins
C’est en dégustant un semplicemente
bianco et un semplicemente rosso
de Stefano Bellotti à Strasbourg que nous avons décidé de parcourir 600km,
traverser deux frontières pour découvrir comment étaient nés ces jus divins.
Dès les premières minutes après notre arrivée sur place en
cette fin d’après-midi d’octobre sous un soleil orangé, ce fut une évidence que
cet endroit avait quelque chose de spécial.
Ici on a une autre relation au
temps, on aime la nature dans sa diversité, sa créativité et sa liberté. Ici on sent que ça
foisonne d’idées, que l'on aime expérimenter, suivre son instinct sans tenir compte de ce que pourraient penser les autres.
Tout ceci se traduit naturellement dans les vins qui sont
tous en biodynamie sans sulfites ajoutés à fermentation sur levures indigènes.
C'est par ce Cortese que l’on entre dans le monde de Stefano. C’est un vin de soif, tellement bon,
tellement simple et tellement juste.
semplicemente rosso
Ce vin issu à 50% Barbera et 50% Dolcetto est le vin glouglou version rouge. Il est éclatant
de fruit et de vie. Plaisir immédiat et vrai. Un régal à l’apéro avec une
grillade.
IVAG 2016
Ce Cortese offre une parfaite transition entre la gamme semplicemente et les autres vins blancs
du domaine. On gagne en minéralité, en tension, en longueur, en complexité. Il
est produit sur la colline proche de Gavi. Stefano s’étant vu refusé l’agrément, à décider de l’appeler ivag (gavi à l’envers) comme ultime pied-de-nez au
système des appellations.
Filagnotti 2015
Ce vin me fait immédiatement penser aux blancs ouillés parcellaires
de chez Stéphane Tissot dans le Jura avec un nez fumé, minéral, envoûtant et
une trame rectiligne en bouche phénoménale. C’est un très grand vin qui se boit
aussi bien jeune qu'après plusieurs années de garde.
Montemarino 2014
Montemarino - vue sur la cave de vinfication |
En déambulant
dans les vignes de Stefano, on se retrouve dans un monde relativement sauvage où arbres fruitiers côtoient des
vignes laissées libres de s’exprimer. Il règne une énergie toute particulière
sur cette parcelle très vivante. Le contraste est fort avec les parcelles voisines pollissées à souhait et sujets favoris du National Geographic.
Le vin est du coup étonnant, mystérieux. Il ne se laisse pas facilement définir.
Boire un Montemarino, c’est un peu
comme deux inconnus qui s’observent l’un l’autre pour la toute première fois,
un peu comme un échange de regards entre le toréador et le taureau. C'est un peu intimidant.
Montemarino - les vignes de Stefano sont au premier plan |
On est bluffé
par l’énergie de ce cortese. Ce vin est macéré 24 heures pour laisser le temps
aux levures de commencer leur travail. A la dégustation, il est dans un
registre plus oxydatif. Sa volatile est divine. Ce que l’on retient est sa
puissance minérale, sa longueur phénoménale et son volume tout en offrant une
buvabilité saline franche. C'est le type de vin qui nous semble pouvoir nous offrir des sensations nouvelles à chaque dégustation.
Et après…
On est un peu triste de devoi
r repartir déjà de la cascina degli
ulivi. Triste car nous avons passé de bons moments avec des gens qui, certes, ne se livrent pas d'emblée mais plutôt au fur et à mesure, au fil des jours. Qui sait quand nous nous reverrons, au printemps pour les travaux agricoles, fin septembre pour les vendanges ou dans de nombreuses années.
Montemarino |
Inquiet aussi pour l’avenir
de ce domaine sans Stefano.
Mais heureux de faire vivre la mémoire du travail
de Stefano et de ses grands vins qui imprègnent le plus profond de votre âme tout comme les vins cisterciens de Pierre
Boillot dégustés il y a déjà dix de celà mais dont le souvenir est aussi frais et doux dans la mémoire que ces quatre incroyables journées d'automne.